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COP21 : Adieu Kiribati ! Et bienvenue aux migrants…

Kiribati, vous connaissez ? Si vous regardez sur une carte, vous découvrirez un petit archipel, situé au milieu de la plus grande étendue d'eau au monde, l'océan Pacifique. Un minuscule confetti où vivent seulement 110 000 habitants, à plusieurs milliers de kilomètres de la première véritable terre. Or l'archipel de Kiribati résume à lui seul les répercussions directes du changement climatique sur les ressources en eau potable, mais aussi l'obligation pour les hommes de migrer lorsque les conditions de vie deviennent insupportables.

Vivre au milieu de l'océan Pacifique

« Mauri [bonjour en gilbertin, la langue locale] ! » Le jeune et imposant Karakaua, âgé de 28 ans, me reçoit chez lui, à Tarawa, sur l'archipel de Kiribati. Entourés d'eau, les insulaires sont avant tout des pêcheurs, des hommes tournés vers l'océan. À Kiribati, la pêche peut s'effectuer en haute mer de manière industrielle à la recherche du thon. Mais les petits pêcheurs des atolls, comme Karakaua, pratiquent avant tout la pêche traditionnelle de subsistance, le long des récifs, au centre du lagon. Comme Karakaua, un demi-milliard de personnes dépendent de la pêche pour vivre dans le monde. La technique de pêche est simple mais redoutablement efficace : les pêcheurs se servent des bancs de sable pour rabattre le poisson dans leurs filets. Et l'océan est généreux avec celui qui connaît bien la technique. Karakaua pêche environ 200 kg de poisson par mois (maebo, ninimwai), qu'il vend ensuite au marché central. Le poisson constitue la base de ses revenus, comme pour les autres pêcheurs de l'atoll. Mais ce poisson représente avant tout la principale source d'alimentation de sa famille.

L'agriculture est peu développée sur l'atoll. Fait de sable corallien, les sols sont peu fertiles et les périodes de sécheresse peuvent être longues. Seuls les cocotiers, ces herbes géantes, semblent pousser. L'économie locale repose donc exclusivement sur son fruit : la noix de coco. Karakaua dispose d'une parcelle familiale juste en bordure de l'océan où il vient un jour sur deux pour ramasser entre 20 et 50 noix de coco. À maturité, les noix de coco tombent directement sur le sol et Karakaua les ramasse ainsi facilement à la main. Dans l'archipel, quelques tonnes de noix sont exportées directement ou bien transformées en huile de coco, mais la majorité est vendue sous forme de coprah, l'albumen séché de la noix (la partie de la graine entourant l'embryon et qui constitue une sorte de réserve nutritutive). Karakaua extrait avec précision cet albumen de la noix, qui servira plus tard à la fabrication d'huile, de margarine, de savons ou de cosmétiques. L'albumen est séché directement devant sa maison. Karakaua produit environ 100 kg de coprah par mois. Un travail simple mais crucial, car la vente du coprah est une ressource financière essentielle pour sa famille.

L'arrivée de l'eau salée

L'atoll se situe au raz de l'eau. Son point culminant est de seulement 3 mètres de hauteur. Le territoire est aussi très peu large, de quelques centaines de mètres au maximum entre le lagon et l'océan. La vie s'étire donc toujours le long du littoral. Dans le cadre du dérèglement climatique, l'élévation du niveau moyen des océans est déjà de 19 cm à l'échelle de la planète et le rythme actuel est de 3,2 mm par an, avec une vitesse d'élévation encore supérieure dans cette région de l'ouest pacifique. La submersion totale de Kiribati n'est pas pour ce siècle. Mais l'inertie thermique des océans menace à plus long terme sa propre existence, car leur niveau devrait monter durant encore plusieurs millénaires.

L'élévation annuelle du niveau des océans, obtenue par altimétrie satellitaire (période 1993-2012), est très hétérogène à l'échelle de la planète. La hausse la plus rapide se situe notamment dans l'ouest-Pacifique... © GIEC, 2014

Les atolls ne manquent pas d'eau tant les volumes d'eau salée de l'océan sont infinis tout autour. En revanche, l'eau douce, elle, est une ressource très limitée. Elle provient des lentilles d'eau souterraines situées à seulement quelques mètres de profondeur. Ce sont des systèmes hydrologiques complexes : l'eau salée de l'océan, plus dense, ne se mélange pas avec la nappe d'eau douce qui se recharge à partir de la pluie. Dans le cadre du dérèglement climatique, un combat s'installe à présent entre, d'un côté, la modification des précipitations, et, de l'autre, l'augmentation de l'évaporation et des intrusions d'eau salée. De la présence, ou non, de ces lentilles d'eau potable dépend la viabilité de tout l'atoll, et aussi l'avenir de Karakaua et de toute sa famille.

Le siècle des grandes migrations

En revenant du Pacifique, je me disais que la planète était décidément bien plus petite que ce que l'on peut s'imaginer. Toutes les régions sont touchées par le changement climatique. Même les régions les plus isolées comme l'archipel de Kiribati perdu au milieu de l'océan Pacifique. Même les personnes comme Karakaua qui ne participent en rien aux émissions de gaz à effet de serre. L'archipel de Kiribati tente aujourd'hui de s'attirer une certaine visibilité médiatique sur la scène internationale. Mais que peut-il faire de mieux au cœur de l'immensité océanique ? Pour ces petits États insulaires du Pacifique, la lutte semble difficile avec des options d'adaptation très limitées face à l'océan et des coûts financiers bien trop élevés compte tenu de la faiblesse économique de ces pays. La conférence sur le climat de Paris (COP21) sera l'occasion pour eux de faire entendre leurs voix à l'ONU.

L’atoll de Tarawa se situe au ras de l’eau. Sa submersion n’est pas pour ce siècle, mais l'inertie thermique des océans menace à plus long terme son existence. Le niveau des océans devrait monter durant encore plusieurs millénaires. © Gaël Derive

Pas de doute, le dérèglement climatique est un facteur déclencheur des migrations, en raison du durcissement des phénomènes extrêmes (cyclones, inondations..) ou de la lente dégradation des conditions environnementales (élévation du niveau des océans, désertification..). Cela est frappant à Kiribati à travers la modification actuelle des ressources en eau potable et, à plus long terme, avec la submersion des atolls. C'est aussi le cas en Syrie, où une série de sécheresses survenues dans le pays entre 2007 et 2010 a touché le secteur agricole et provoqué des migrations vers les centres urbains. Sans être la cause unique et principale, les événements climatiques sont des éléments amplificateurs des phénomènes sociaux, économiques, démographiques et politiques d'une région. Je l'ai aussi bien perçu au Bangladesh et en Éthiopie, nous en reparlerons.

Ce siècle sera celui des migrants, des déplacés, des réfugiés. Et, malheureusement, comme je le rappelais il y a quelques mois dans mon dernier livre Nous aurions dû rester des singes*, la communauté internationale n'y est pas préparée. On le voit aujourd'hui avec les tensions dans l'Union européenne à la suite de l'arrivée de seulement quelques centaines de milliers de migrants syriens. Demain, partout dans le monde, des millions de personnes bougeront à l'intérieur de leur pays, mais aussi au-delà des frontières. Le Haut-Commissariat adjoint de l'ONU pour les réfugiés évoque le chiffre de 250 millions de déplacés climatiques d'ici à 2050. Le XXIe siècle sera celui des grandes migrations humaines. Adieu Kiribati ! Et bienvenue aux migrants…

Gael Derive – lepoint.fr - 30/09/15

Gael Derive est climatologue, explorateur, scénariste et conférencier.

Il est l'auteur de "Nous aurions dû rester des singes" – Editions Indigène, et des films « L'odyssée du climat » et « Une planète et une civilisation »

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